Solstice


Solstice et équinoxe

Pommier

Les solstices et équinoxes, en rapport avec le temps des dieux, marquent les temps forts des aventures des héros de la tradition des Celtes et leurs rapports avec les dieux, dans un cycle symbolique de conquête de l’année. Cet aspect de la tradition est bien décrit par Philippe Jouët, dans son livre « L’aurore celtique » paru en 1994 aux éditions du Porte-Glaive.

Il n’existe pas d’éléments concrets qui permettraient d’affirmer que les Celtes étaient des adorateurs du soleil, même s’ils ont intégré dans leur tradition les monuments mégalithiques du néolithique souvent orientés en direction des solstices. Les tumulus et dolmens du Néolithique étaient édifiés pour honorer les défunts. A cette époque, les cérémonies solsticiales étaient plus sûrement destinées à honorer leur mémoire, comme la Samain des Celtes.

Si ce n’est l’hypothèse d’un éventuel culte solaire, il n’existe pas de données indiscutables permettant d’affirmer que les équinoxes donnaient lieu à des célébrations populaires chez les Celtes, contrairement aux populations du Néolithique. Les nombreuses coutumes populaires qui se trouvent encore dans le folklore de nombreux pays héritiers de l’idéologie tripartie indo-européenne laissent à penser que le soleil avait dans leurs traditions une place importante, en rapport avec le cycle de la nature.

Solstice d’hiver (Br. Noz Kerzu, Goursav-goañv)

Panthéon celtique : Ogmios (Br. Ankou) – La Boan

Dans les textes de la mythologie d’Irlande, le solstice d’hiver se situe au milieu du gué entre les deux berges de l’année, séparées par l’eau de la ténèbre hivernale. Le combat du Héros contre les forces hostiles se déroule sur le gué. L’avantage du ciel nocturne, dans sa lutte avec le ciel diurne, cesse enfin d’augmenter. Au terme de ce combat solsticial, dont l’enjeu est la possession du soleil, le ciel diurne a cessé de perdre du terrain. Le jour du solstice, le lever et le coucher du soleil se font dans leurs directions les plus méridionales. Le solstice d’hiver marque la limite basse de la trajectoire du soleil sur l’horizon.

Le solstice, image du conflit céleste, donnait lieu à un rituel de régénération. Dans ce cadre, les joutes oratoires disputées par les druides, étaient une mise en œuvre de la « parole action ».  Jules César évoque peut-être le verbal contest quand il écrit dans Bellum Gallicum : « – Les druides se livrent en outre à de nombreuses spéculations sur les astres et leurs mouvements, sur la grandeur du monde et de la terre, sur la nature des choses, sur l’essence et la puissance des dieux immortels ». Ce dernier point indique que les druides s’entretenaient des dieux et de leur essence, dans un esprit plus philosophique que dogmatique.

En Bretagne, Noz Kerzu, la nuit du solstice d’hiver, marque la fin de la période de Samain. Le solstice était également un moment très important pour les populations du Néolithique. Le matin du premier jour qui suit le solstice d’hiver, l’entrée et le couloir du site mégalithique de la Roche-aux-fées à Hédé (Ille-et-Vilaine), se situent dans l’alignement exact du lever du soleil. Il en est de même pour de nombreux sites mégalithiques en Europe.

Dans les mythologies celtes et védiques, le sacrifice de la vache de l’année symbolisait la rénovation cosmique. La période comportait 12 jours ; 6 jours avant et 6 jours après le solstice. Ces 12 jours (nuits) représentaient la différence entre une année solaire de 12 mois et 12 lunaisons. Cette période intermédiaire se situait à la jonction de deux jours consécutifs des dieux. Chez les Celtes, comme dans l’Inde védique, une année des hommes correspondait à un jour des dieux. Le jour des dieux commençait au solstice d’hiver.

La période de 12 nuits revêtait une importance particulière pour les descendants européens des Indo-européens. Quand le monde semblait pétrifié par le froid, il semblait nécessaire de réaffirmer le pacte entre les dieux et les hommes, dans un cérémonial destiné au renouveau de la lumière et à la réactivation du feu céleste, qui conditionnaient la vie sur Terre. Le feu et la lumière symbolisaient le soleil et la vie. L’aspect fécondant du solstice était donné par la nature au repos, qui se préparait à renaître. Les 12 jours représentaient le repos créateur du soleil. Le folklore en a gardé l’idée d’une représentation des 12 mois à venir. En basse Bretagne, les 12 jours sont les gourdeizioù, les « grands jours ». Décalés par rapport au solstice dans le calendrier chrétien, les gourdezioù comprennent les 6 derniers jours de décembre et les 6 premiers jours de janvier. Les 12 jours de la période solsticiale semblaient conditionner l’avenir des hommes sur terre mais aussi déterminer le sort du cosmos. L’acmé de la saison sombre donnait lieu à des rites initiatiques liés aux 12 jours critiques de l’année.

Les langues germaniques nomment le solstice, Jul, dont l’une des anciennes significations était « roue ». Une nuit des mères célébrait la maternité en rapport avec l’aspect fécondant de la période.

En 567, le Concile de Tours a décidé que la période des 12 jours qui suivait Noël serait considérée comme sacrée.

Chez les Celtes, c’était probablement le sixième jour de la nouvelle lune, en période solsticiale, que se déroulait la cérémonie de la coupe du gui. Le gui, végétal gorgé de lumière solaire n’entre pas en contact avec la terre. Propagé à travers les airs par les oiseaux, il semblait n’appartenir qu’au ciel diurne. Sa graine met neuf mois pour se développer dans sa poche de glu. Toujours verte, la plante évoquait l’Autre Monde et la Vie éternelle. La coupe du gui marquait la régénération du temps et de l’année, à travers l’émasculation symbolique du roi de l’année écoulée par son jeune successeur. Le gui était un symbole de jeunesse de vigueur et d’amour.

Le rite païen semble être à l’origine de l’expression ancienne « Au gui l’an neuf ». Une confusion a été faite au sujet de la traduction de cette tradition solsticiale. La formule prononcée à cette occasion, O ghel an heu – en breton moderne egi an ed, signifiait : le blé lève. Cette formule illustre la potentialité des fruits de l’été, contenue dans la « ténèbre hivernale ». Aux XVIème-XVIIème siècles, la coutume de la quête de l’éguinane, pratiquée par les nécessiteux, semble en être un prolongement. Cette pratique se déroulait durant les mois noirs, jusqu’au Mardi Gras. Les indigents recevaient les dons en échange de chants traditionnels et de souhaits. Dans certaines régions, les quêteurs parcouraient la campagne à la recherche d’un abri pour la nuit. Le soir, à l’approche d’une habitation, ils annonçaient leur arrivée par le tintement d’une cloche. L’aspect parfois peu rassurant du personnage en haillons, le son de la cloche à la tombée de la nuit, ajoutés aux histoires, contes et chants qui racontaient le sort des âmes errantes, avaient de quoi marquer les esprits.

Dom Le Pelletier a recueilli le texte d’une chanson du pays de Morlaix (Finistère), encore chantée vers la fin du XVIIe siècle. Le chant faisait référence à la vieille formule clamée au solstice d’hiver, « le blé germe ». Le religieux n’en avait peut-être pas décrypté l’allusion coquine, qui n’avait rien à voir avec la vêture de la dame.

« Eghin an eit

Toul e ma bros a va sahe

Ur battel kig sal estanke

Eghin an eit »

Le blé germe 

Ma jupe est percée et ma robe

Un morceau de lard la boucherait

Le blé germe.

Le clergé s’est employé à combattre l’usage de l’éginane qui était la continuation d’une pratique ancienne qui rappelait le chaudron d’abondance de la période de Samain.

Le soleil invaincu était symbolisé par une grosse bûche de chêne mise au feu dans l’âtre du logis.

Outre le gui, le sapin, le houx et le lierre affirmaient la continuité de la vie au cœur de l’hiver, par la persistance de leur feuillage vert. Le vert végétal et le blanc des fruits du gui représentaient les couleurs sacrées des Celtes, dans un symbolisme végétal, en rapport avec l’éternité. A Belteine, l’aubépine en fleur marquait également, par les couleurs verte et blanche, la sacralité de la période.

Dans la même ligne symbolique, le sapin, au feuillage persistant et toujours vert, reste associé aux plus anciennes croyances. Au moment du solstice, il peut représenter l’arbre axe du monde, comme l’Ygdrasil des Germains et des Nordiques. L’arbre « axe du monde » est un thème présent dans toutes les mythologies des peuples indo-européens.

Le cheval est associé au solstice. Dans de nombreuses traditions, le cheval tire le char du soleil pour la traversée de l’hiver. Le cheval est indissociable du guerrier celte. Il est également la monture des cavaliers de la « chasse sauvage ». C’est le cheval qui transporte les âmes tourmentées, précédé par les chiens infernaux.

Le porc était l’animal privilégié pour les sacrifices et constituait le plat principal des fêtes du solstice d’hiver. Il représentait l’abondance et la fertilité.

Le bouc, parfois représenté au pied de l’arbre, symbolise la fécondité. Le bouc avait la réputation de porter chance et d’écarter les esprits maléfiques. L’Église chrétienne en a inversé la signification, pour en faire le symbole du diable et du péché sexuel.

Sur un principe d’égalité entre homme et femme, les Celtes disposaient de leurs corps et n’avaient pas la culture du péché. Le précepte judéo-chrétien du « péché de chair », introduit sous forme d’interdit religieux dans la tradition des Celtes, est sans doute à mettre au crédit des moines chrétiens qui en assurèrent la transcription. L’homosexualité n’était ni exceptionnelle, ni condamnée tant chez les Grecs que chez les Celtes. Les Celtes étaient très attachés à leur liberté et la sexualité en faisait partie. Dans la tradition d’Irlande, comme dans la tradition védique, l’adultère divin est la règle et non l’exception pour annoncer un renouveau.

Chez les Celtes, les défunts étaient honorés et associés aux rites qui célébraient la vie. Ils étaient associés à toutes les fêtes du calendrier celtique, mais leur souvenir se faisait plus présent pendant la période qui allait de Samain au solstice d’hiver.

Le calendrier, réformé par Jules César en 46 avant notre ère, fixait le solstice d’hiver au 25 décembre. Ce jour nommé Natalis (dies), le (jour) natal, était le jour de la célébration du soleil invaincu, Sol invictus. L’année commençait avec la croissance du soleil.

En 353, l’Église décide de fixer la naissance de Jésus au 25 décembre, pour coïncider avec Sol invictus et d’autres célébrations païennes qui associaient le solstice à un symbolisme de fertilité, de maternité et de procréation. La naissance du dieu Mithra, jaillissant d’un rocher, avait également eu lieu un 25 décembre, jour du solstice d’hiver dans le calendrier julien. Une très ancienne tradition mithriaque présentait Anahid, la mère de Mithra,  comme vierge. Le culte mithriaque était parvenu en Gaule, bien avant l’arrivée du christianisme.

L’annonce faite à Marie, par le lumineux Archange Gabriel, à l’équinoxe de printemps, déterminait la naissance de Jésus au solstice d’hiver. L’Épiphanie était fêtée 12 jours après Noël. Cet intervalle correspondait aux 12 jours de différence entre l’année solaire et l’année lunaire, ou encore à la période de pause créatrice des 12 jours solsticiaux. L’Épiphanie représente pour la chrétienté, l’hommage rendu par les rois mages, mais aussi la circoncision de Jésus dans la tradition juive et son baptême dans l’eau du Jourdain.

L’Epiphanie semble être la continuation d’une fête païenne qui célébrait la succession du roi de l’année. Cette fête était liée au soleil, au terme des 12 nuits de la période du solstice. Des feux de joie étaient allumés pour aider au prochain retour du printemps et hâter la fin de la grande nuit hivernale. La coutume a vraisemblablement son origine chez les peuples proches du cercle polaire.

Au XVème siècle, le pape Grégoire XIII réforme le calendrier julien. Le solstice d’hiver intervient alors le 21 décembre. Grégoire XIII conserve la date du 25 décembre pour la naissance de Jésus qui, de ce fait, ne correspond plus au solstice. Les fêtes chrétiennes se trouveront ainsi décalées par rapport aux moments importants de la course du soleil qui ponctuent le calendrier des fêtes celtiques. 

Newgrange, dans le Comté de Meath au nord de Dublin, est l’un des sites archéologiques les plus célèbres d’Irlande. Le site consiste en un gros tumulus circulaire au centre duquel se trouve une chambre mortuaire à laquelle on accède par un très long couloir couvert. Le mur extérieur du tumulus est flanqué de pierres monumentales sur lesquelles il est possible d’observer des dessins en spirale et quelques triscèles. Comme à Gavrinis, ces volutes rappellent la puissance de l’eau des origines.

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Newgrange est orienté exactement dans la direction du soleil, le matin du solstice d’hiver. A ce moment, le soleil pénètre directement dans la chambre centrale pendant environ 15 minutes. Les rayons du soleil devaient « réveiller » les ancêtres défunts dont les dépouilles avaient été disposée dans la sépulture, afin qu’ils encouragent le soleil pour que les jours augmentent.

Saint Patrick aurait fondé son premier monastère non loin de Newgrange, à Navan au confluent des vallées de la Boyne et de la Blackwater. Il expliquait aux rois et aux filid que la Bible apportait une richesse supplémentaire à leur savoir. Saint Patrick s’est employé à convertir les clans d’Irlande sans détruire leur patrimoine culturel ni vider de leurs sens les mythes de la tradition des Celtes.

Gwyon mab Wrac’h