Une langue, un peuple


Une langue, une structure de pensée, un peuple.

La langue contribue à élaborer une certaine manière de penser qui participe à construire l’identité d’un peuple. Les langues celtiques en sont de fameux exemples. Le breton est une langue rugueuse mais fouillée dans l’expression des nuances. Elle a participé à forger le caractère des Armoricains celtisés pour en faire un peuple fier, prompt à s’élever contre l’injustice ou à contester des décisions inappropriées prises sans concertation par une autorité exogène. Toujours imprégnée de ses valeurs ancestrales, la population de Bretagne a conservé une forte capacité d’indignation qui s’exprime quand ses valeurs sont bafouées. Cette particularité est à l’origine d’une histoire de Bretagne tumultueuse.

Associée au royaume de France à partir de la moitié du second millénaire de l’ère chrétienne, la Bretagne n’est finalement devenue un pays totalement francophone que dans la seconde moitié du XXème siècle.
Au début du troisième millénaire, les sicaires de la langue bretonne ne semblent pas avoir totalement gagné la partie. À l’occasion d’un entretien avec la journaliste Maïwenn Raynaudon-Kerzhero dans la revue « Bretons » du mois de mars 2017, le lexicographe français Alain Ray reconnaissait que «- …du point de vue des langues et cultures régionales, le français est aussi un gros assassin ». Ce n’est pas la langue française qui est ici en cause, mais les responsables d’une politique de type totalitaire, qui se succèdent à la tête de l’État Nation français depuis la Révolution de 1789. Dans la conclusion de l’entretien, la journaliste et le lexicographe s’accordaient sur le fait que : « –Tout cela tient au fait qu’une langue est toujours le véhicule d’un pouvoir, d’une domination politique et c’est bien pour cela que l’anglais domine aujourd’hui… Et le français en Bretagne est la marque de l’État jacobin unificateur. »
Pour l’écrivain Érik Orsenna, membre de l’académie française, dans un article du journal « Le Monde » paru le 9 mars 2017, – La langue détermine tout autant un espace profondément personnel qu’un lieu de savoir, avec sa rigueur et sa structure. La langue participe à la construction de l’identité de ses locuteurs, particularité inacceptable pour les systèmes politiques totalitaires dont la langue dominante est un important instrument du pouvoir.

Le contrôle de la langue relève d’un enjeu de pouvoir et de domination explique Philippe Blanchet , auteur de « Discriminations : Combattre la glottophobie ». Discriminer une langue consiste à minoriser ses locuteurs en réservant aux seuls locuteurs de la langue des dominants, l’accès à l’ensemble des droits dont bénéficie la population au sein de la nation. Cette discrimination est interdite par de nombreux textes internationaux signés par la France, mais jamais respectés à l’intérieur de ses frontières. Sur ce plan, il apparaît que « La France pays des Droits de l’Homme », relève plus du fantasme que d’une réalité factuelle.
La philosophie linguistique négationniste sous-jacente de la France alimente la progression d’une idéologie politique xénophobe et raciste. Ce cancer idéologique fait le miel d’une extrême droite et gagne progressivement une droite « républicaine » nostalgique du Gouvernement de Vichy.
Si le français a réussi, à force de contraintes, à s’imposer comme langue véhiculaire des Bretons, le breton n’est toujours pas mort. Des associations se mobilisent pour réhabiliter la langue vernaculaire et promouvoir son enseignement à l’école dès le plus jeune âge.

Le poids des valeurs.

La langue n’est pas le seul élément à l’origine du particularisme des Bretons. La préservation des valeurs qui structuraient la vie des ancêtres, transmise de génération en génération, forme le socle de la fierté des Bretons. Fruit d’une longue histoire qui s’est élaborée sur une fin de terre, le caractère du Breton est semblable à l’ajonc qui envahi les espaces libres, s’installe le long des routes et sur les talus pour laisser exploser au printemps le caractère solaire de ses fleurs. Cette lumineuse explosion florale semble célébrer le début de la saison active, comme au temps des anciens Celtes. Si l’ajonc possède des racines qui s’enfoncent profondément dans le sol, le Breton a les siennes qui remontent à la période la plus reculée de l’histoire du peuplement de la péninsule. Le caractère des Bretons, Comme l’ajonc, ne manque pas de piquant.
En Bretagne, le rapport à la nature et la façon de penser le monde résistent à l’érosion du temps. Les nouveaux arrivants qui s’installent en Bretagne se laissent gagner par le sentiment particulier qui « fait » le Breton. Xavier Grall, le poète finistérien, le dit avec sa sensibilité : – On ne naît pas Breton. On le devient, à l’écoute du vent, du chant des branches, du chant des hommes et de la mer. »
Dans un essai intitulé « Place de la langue dans le combat de libération nationale », l’écrivain Erwan Vallerie écrit : Ce n’est pas à une autre province qu’il faut comparer la Bretagne, c’est à la France. Les provinces françaises, en dépit de l’hypertrophie parisienne, en dépit de la ségrégation sociale d’une civilisation élitiste, participent de la culture française, la Bretagne non.

Au XXème siècle, pendant l’Occupation allemande, l’attachement de la population bretonne à sa liberté est à l’origine des nombreux maquis qui s’organisent à travers toute la Bretagne. Saint Marcel (Morbihan), Buzot (Ille et Vilaine), Coat Mallouen en Saint Connan (Côtes du Nord) ou encore Mahalon à la pointe du Finistère en sont quelques exemples. À la fin de 1943, vingt-quatre maquis sont constitués dans le nord-est du Morbihan et dix dans l’ouest des côtes-du-Nord. Les Bretons ressentent un violent sentiment de rejet à l’encontre des forces d’occupation qui se sont rapidement installées en Bretagne en 1940. L’historien Christian Bougeard dit à ce sujet : « Le phénomène maquisard a été très important dans l’ouest de la Bretagne bien avant le débarquement, sous l’impulsion des FTP ».
Répondant à l’appel du Général de Gaulle, des Bretons rejoignent l’Angleterre sur des bateaux de pêche à partir de nombreux ports de la côte bretonne. Engagés auprès du Général, ils combattent les troupes d’Hitler sur tous les fronts.
Durant la période de l’occupation, 3.763 Bretons ont été déportés dont plus de la moitié ne sont pas revenus des camps de concentration, 2.276 ont été fusillés et il y a eu 6.500 victimes civiles.
Cela n’a pas suffi à libérer la Bretagne et les Bretons de la méfiance institutionnelle des gouvernements français. Après la Seconde Guerre mondiale quelques petites mains des basses œuvres de la République, sous couvert de recherches universitaires, se sont attachées à associer la Bretagne et les Bretons à la « Collaboration » avec l’ennemi. La méthode s’inscrit logiquement dans une action qui tend à maintenir les Bretons dans un sentiment de culpabilité et de contrition, sorte de camisole de force mentale.
La méthode a fait long-feu. L’explosion de la culture bretonne qui s’est adaptée à l’époque moderne, le renouveau de l’intérêt pour la langue bretonne et la vivacité de la population à se mobiliser pour des enjeux économiques régionaux en sont la preuve la plus évidente.

L’Aber Wrac’h le 26/10/2017

Extrait de « PENN MOC »h »   TheBoohEdition.com