Naissance du Gorsedd de Bretagne


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Naissance du Gorsedd de Bretagne

Ainsi que l’a souligné Gwenc’hlan le Scouëzec dans certains de ses ouvrages, en Bretagne armoricaine poètes et saints de l’Église celtique se sont partagé l’héritage des druides tout au long du premier millénaire de notre ère. Quelques textes rescapés tendent à démontrer que des laïcs de l’ancienne société bretonne avaient des rudiments de culture latine et possédaient parfaitement une culture celtique plus orale qu’écrite, qui présentait des formes élaborées et savantes. Au XVII ème siècle, des laïcs instruits, comme le châtelain de Kerbiguet en Gourin ou le juriste Moeam, connaissaient encore les principes savants de la poésie traditionnelle.

Quand le parrainage qui protégeait le poète traditionnel, en assurant sa subsistance, est tombé en désuétude, la tradition s’est transmise jusqu’au XIXème siècle, par des chanteurs et des conteurs, sorte de bardes errants qui se déplaçaient dans les campagnes, de ferme en ferme, pour livrer leur art du conte traditionnel en échange d’un repas et d’un abri pour la nuit. La littérature orale des conteurs des XVIIIème et XIXème siècles, de même que « la matière de Bretagne » contenue dans la littérature du Moyen Age, nous livrent des bribes de l’ancienne tradition celtique. Théodore Hersart de la Villemarqué, Luzel ou Anatole le Bras, entre autres collecteurs des récits qui circulaient encore dans les campagnes, sauvèrent une part importante de cet héritage culturel, en recueillant auprès des conteurs de leur époque, les textes oraux perpétués par la tradition populaire rurale.

Au Pays de Galles, la tradition bardique a survécu dans l’organisation des «eisteddfodau », c’est-à-dire des concours de poésie ouverts au public. En 1789, année de la révolution française, l’association des Gallois de Londres, la «Gwyneddigion Society», décidait de réactualiser les règles traditionnelles qui régissaient ces concours pour leur donner une vocation culturelle plus affirmée. Les eisteddfodau étaient des fêtes populaires très prisées par la population galloise. C’est au contact des membres de la « Gwyneddigion Society » qu’Edward Williams, un maçon gallois du Glamorganshire travaillant à Londres dans les années 1770, prend conscience de la richesse de la tradition bardique galloise. Edward Williams adopte le nom bardique de Iolo Morganwg (Iolo de Glamorgan en gaëlique).

En 1791, à l’exemple de John Toland qui avait lancé le mouvement druidique trois quarts de siècle plus tôt, Iolo Morganwg convoqua l’assemblée qui se tiendrait, un an plus tard, au sommet de Primrose Hill à Londres. Le jour du solstice d’été de l’année 1792, quelques celtisants gallois, qui résidaient à Londres, se réunissent en plein air «sous le soleil œil de lumière», autour de Iolo Morganwg, pour une première réunion. Un nouveau rituel est mis en œuvre, avec en particulier la délimitation d’une aire sacrée par un cercle de pierres. Le centre de ce cercle était marqué par une pierre plus grosse sur laquelle était posée une épée. Cette forme de réunion prend le nom de « Gorsedd », traduction en langue celtique du mot « assemblée ». Prié de quitter Londres par les autorités qui n’apprécient pas la tournure régionaliste du nouveau mouvement, Iolo Morganwg rentre au Pays de Galles où il s’emploie à réunir les deux rameaux de la tradition celtique locale, le bardisme sous-jacent de l’Eisteddfod, concours de poésie très pratiqué dans le Pays de Galles, et une vision druidique personnelle exprimée au sein du Gorsedd. Il y parvient en 1819, en associant la cérémonie du Gorsedd à l’eisteddfod de Carmarthen.

Iolo Morganwg décède en 1826. Désormais le Gorsedd prend en charge l’organisation de l’esteddfod pour devenir l’événement phare des aspirations culturelles du Pays de Galles. Cette structure est un exemple pour les autres régions de tradition celtique. Le Gorsedd gallois glisse ensuite progressivement vers une normalisation anglicane, en acceptant de nombreux pasteurs protestants dans son assemblée. Il arrive que des pasteurs anglicans soient ainsi nommés Archidruid et placés à la tête du Gorsedd gallois. Le terme « Archidruid », adopté en référence à la hiérarchie épiscopale anglicane, indique que la tradition spirituelle des Celtes est devenue marginale dans les manifestations culturelles du Gorsedd gallois.

En 1838, Hersart de la Villemarqué accompagné d’une délégation bretonne est invité à la réunion du Gorsedd à Abergavenny dans le Pays de Galles, à l’occasion duquel il sera intronisé barde sous le nom de « Barz Nizon ». Il publie l’année suivante le « Barzaz Breizh » qui reste un ouvrage de référence dans la transcription de la tradition orale de la Bretagne armoricaine. La graine était plantée, mais il faudra attendre soixante ans pour la voir germer en Bretagne.

Le Gorsedd du Pays de Galles est né d’un sentiment romantique pour les anciens Celtes et d’une vocation régionaliste de Gallois installés dans la capitale londonienne. De même, c’est à Paris où se rencontraient des personnalités bretonnes à l’occasion de dîners celtiques, que prend forme l’idée de création de la Gorsedd de Bretagne. Quelques convives avaient milité pour la création de l’Union régionaliste bretonne (URB) créée à Morlaix (Finistère) durant l’été 1898. L’URB est Présidée par l’écrivain Anatole le Braz, François Jaffrénou en était le Secrétaire général et Jean le Fustec secrétaire de la section des Beaux-Arts. L’U.R.B. comptait dans ses rangs un nombre conséquent de membres de la noblesse ainsi que du clergé ce qui en faisait un organisme politique d’opposition à tout ce que le Gouvernement d’Emile Combes avait mis en place pour l’école et la religion. De plus, l’URB comprenait des royalistes nostalgiques, une sorte d’extrême droite précoce, à l’exemple de Charles le Goffic qui appuya le projet de restauration de la monarchie porté par Maurras.  Charles le Goffic deviendra vice-président de l’U.R.B mais sera aussi intronisé barde d’honneur sous le nom bardique Eostic ar garante (Rossignol de l’amour). Si tous les membres de l’URB sont régionalistes, ils ne sont pas tous d’extrême droite, loin s’en faut, au point qui s’y sentant mal à l’aise, quelques membres fondent en 1899, l’Association des Bleus de Bretagne, à vocation républicaine bien affirmée.

En 1899, l’U.R.B. confie à Jean le Fustec la mission d’organiser, en relation avec des celtisants gallois, le déplacement d’une délégation bretonne à l’Eisteddfod de Cardiff qui devait se tenir au mois de juillet de la même année. La délégation comprenait vingt personnes, toutes faites barde d’honneur pendant la cérémonie de l’Eisteddfod. En faisaient partie, François Vallée, François Jaffrénou, Anatole le Bras, Régis de l’Estourbillon député de Vannes et Yves Riou député de Guingamp. Jean le Fustec y est intronisé barde sous le nom de Ian ab Gwillerm (Jean fils de Guillaume).

Au mois de septembre 1900, se tient à Guingamp, le Congrès celtique. A la fin de cette manifestation, quelques celtisants se réunissent autour de Jean le Fustec, de François Vallée, de François Jaffrénou et d’Yves Berthou, pour organiser le Gorsedd de Bretagne à partir des règlements du Gorsedd du Pays de Galles que s’était procuré Jean le Fustec à Cardiff l’année précédente. À cette réunion, Jean le Fustec est investi 1er Grand Druide de Bretagne. À la suite de cette réunion François Jaffrénou est chargé d’en aviser l’Archidruide du Pays de Galles. Le 26 septembre 1900, Hwfa Môn, l’Archidruide signe la reconnaissance du Gorsedd de Bretagne en ces termes : Le Gorsedd des bardes de l’île de Grande Bretagne accepte de donner son autorisation au Gorsedd des bardes de la presqu’île de Petite Bretagne, à condition qu’elle obéisse à tous ses règlements.

Ainsi les trois premiers Grands Druides, Jean le Fustec (Ian ab Qwillerm) de 1900 à 1904, Yves Berthou (Alchoueder Treger) de 1904 à 1933 et François Jaffrénou (Taldir) de 1933 à 1956, sont présents au moment de la création du Gorsedd de Bretagne.

LES GRANDS DRUIDES

Jean Le Fustec  (Ian ar Gwillerm) retenu par ses obligations professionnelles à Paris ne peut être présent pour les premières réunions du Gorsedd de Bretagne. Il n’y assiste qu’une seule, fois à Brignogan (Finistère), en 1903. Devenu mystique à la suite d’une séance de spiritisme, Jean le Fustec change son nom druidique pour celui de Léménik (serment sur la petite pierre) et abandonne sa charge de Grand Druide en août 1904, remplacé par Yves Berthou au Gorsedd de Gourin en septembre 1904.

A sa prise de fonction Yves Berthou prend le nom de Kaledvoulc’h, le nom breton qui désigne l’épée du roi Arthur, Excalibur. Après l’interruption des activités du Gorsedd, pendant la 1ère Guerre Mondiale, pratiquement ruiné et amer, Yves Berthou délaisse un peu le Gorsedd qui ne reprend réellement ses activités qu’en 1923, sous l’impulsion de François Jaffrénou (Taldir). Ce dernier, dans la revue « An Oaled » décrivait Yves Berthou en ces termes : C’était un croyant, mais peu orthodoxe. Un mystique de l’école de Glamorgan chez qui la solitude avait développé une tendance ancienne au spiritualisme. Sa religion, dont les Triades formaient la base, essayait de concilier le christianisme et le druidisme primitif.

François Jaffrénou (Taldir) est nommé Grand Druide en 1933 à la mort d’Yves Berthou (Kaledvoulc’h). Il se consacre à reconstruire le bardisme breton. Le Gorsedd est mis en sommeil durant la Seconde Guerre Mondiale. Jaffrénou est frappé d’indignité nationale à la Libération, à la suite d’un procès politique orchestré par le Gouvernement de la France qui, profitant d’une période troublée, souhaite décapiter le mouvement régionaliste breton. Jaffrénou fera quelques mois de prison. (Voir « L’affaire Taldir » ouvrage écrit par Gwenc’hlan le Scouëzec, qui tend à démontrer que Jaffrénou était innocent des charges retenues contre lui). C’est cependant sous la direction de Jaffrénou que les activités du Gorsedd reprennent en 1947, mais il lui est interdit de résider en Bretagne. En 1950 Pierre Loizel (Eostig Sarzaw) est nommé Grand Druide adjoint par l’Archidruide gallois Cynan qui intervient pour régler un différend apparu au sein du Gorsedd dont une partie a fait sécession. Pierre Loisel est nommé 4ème Grand Druide en 1956 après le décès de Taldir.

Gwenc’hlan succède à Eostig Sarzaw en 1980 après le décès de ce dernier. Le 5ème Grand druide se donne pour objectif de conduire le druidisme vers le 3ème millénaire. Depuis sa création et comme pour le Gorsedd du Pays de Galles, la vocation du Gorsedd de Bretagne était l’étude, la conservation et le développement des arts, de la littérature et des traditions celtiques. En 1983, à l’occasion d’une déclaration solennelle à La Gouesnière, Gwenc’hlan donne une nouvelle orientation au Gorsedd, en privilégiant trois axes: La fraternité, la spiritualité et la nationalité. La fraternité s’exprime par l’amitié, le soutien mutuel, la sérénité et la tolérance. La spiritualité s’exprime en opposition à l’intolérance et à l’impérialisme des religions et des philosophies officielles, dans une recherche collective pour définir, et vivre ensemble une spiritualité commune, libre et sans dogmatisme, à partir de la tradition celtique. La nationalité  s’exprime dans la lutte contre tout ce qui porte atteinte à la dignité de l’homme breton et dans la défense et le développement de la spécificité de la Bretagne dans tous ses aspects. A l’occasion du Gorsedd de 1988, pour se démarquer des théories racistes de l’extrême droite, Gwenc’hlan adhère solennellement au nom de l’ensemble de la Fraternité des Druides bardes et Ovates de Bretagne, à la déclaration des Droits de l’Homme rédigée sous les auspices de l’ONU en 1948. Il en profite pour proclamer officiellement la laïcité du Gorsedd. Depuis le mot Dieu a disparu du texte de la prière du Gorsedd de Bretagne, remplacé par une plage de silence que chacun, dans le secret de sa conscience, peut combler selon ses aspirations particulières.

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Juillet 2000 dans le parc de Menez Meur (Finistère), célébration du centenaire de la création du Gorsedd de Bretagne.

Homme de Gauche au caractère bien trempé, son sens de la diplomatie n’est pas très aiguisé. Par ses prises de position rageuses contre l’État français, qui refuse de signer la charte européenne des langues minoritaires, il se coupe progressivement du soutien des collectivités territoriales. Dans la même veine, fidèle à sa nature rebelle, Gwenc’hlan fait paraître au mois de décembre 2005, un dernier ouvrage intitulé « Résistances, mémoires d’un rebelle », aux éditions de l’Arbre d’Or, dans lequel il livre sa difficulté et son ressentiment par rapport au colonialisme français et au sectarisme jacobin des responsables politiques qui président aux institutions nationales.

Gwenc’hlan décède en 2008 et Per Vari Kerloc’h lui succède, 6ème Grand Druide du Gorsedd de Bretagne sous le nom de « Morgan ». Le nouveau Grand druide faisant preuve de plus de diplomatie, les relations entre le Gorsedd de Bretagne et les institutions locales et régionales se sont apaisées. Sous le mandat de Morgan, un chantier est ouvert pour réfléchir à une éventuelle modernisation des règlements du Gorsedd de Bretagne.

Kan ar Peulvan 1er août 2015

Lien:   www.gorsedd.fr