Le sacerdoce du druide moderne


Pommier

Le sacerdoce du druide moderne

Dignité et fonction d’un ministre du culte

« Le sacré demeure fait pour l’homme et non l’homme pour le sacré » (Marc II, 27), selon le verset de l’Évangile de Jésus-Christ sur le sabbat.

Contrairement au chaman, le prêtre détient son pouvoir sacré de manière continue, de la vertu même de sa consécration dans une tradition religieuse. On retient la formule célèbre, relevée dans l’Ancien Testament, au Psaume CX, qui date vraisemblablement de la période maccabéenne, vers le second siècle avant notre ère : « Tu es prêtre à jamais selon l’ordre de Melchisédech ». Dans la lignée d’une tradition religieuse, le sacerdoce est accordé au prêtre à l’occasion d’une cérémonie particulière, ce qui lui donne la dignité et le rend légitime dans sa fonction pour l’accomplissement des rites religieux. En plus de la conduite des rites, le prêtre est le garant de la fidélité à une tradition religieuse.

Le prêtre est un praticien du cérémonial, spécialement formé pour l’accomplissement des rites codifiés par l’organisation religieuse à laquelle il appartient. Sa fonction consiste à établir ou à maintenir le contact entre le sacré et la communauté des fidèles. Le sacré est une notion délicate à définir. Pour le théologien luthérien Otto Rudolf (1869-1937), la notion relève du numineux, c’est-à-dire de l’intuition des diverses caractéristiques du sacré, conséquence des sentiments que peuvent éprouver les fidèles d’une religion. Sur un plan général, le sacré désigne à la fois ce qui est séparé et ce qui est circonscrit. Le sacré peut se rapporter à la spiritualité, au divin, au religieux ou aux tabous des sociétés.

Dans sa particularité d’essence du religieux, le sacré définit les interdits et les obligations qui s’imposent dans l’existence des fidèles. Le sacré recouvre alors des formes différentes en fonction des peuples et de leurs usages religieux. Par le sacré, l’homme se constitue un univers particulier. Le sacré présente ainsi les caractéristiques d’une construction humaine plus que celles d’une exigence divine.

Le chef de famille ou le chef de la tribu assumaient initialement les fonctions nécessaires à la protection de leur groupe et à la pratique des rites. Plus tard, sont apparus les spécialistes du sacré, chamans, sorciers, voyants ou prêtres. Ils entretenaient le rapport avec le sacré, par les offrandes et les sacrifices, dans l’accomplissement de rites qui, du fait de leur complexification, réclamaient une certaine expertise. L’évolution de la société avec les progrès de la connaissance scientifique conduit à recouvrir un savoir-faire de l’humanité qui s’est exprimé dans l’élaboration des mythes. Il reste la fascination de l’inexplicable, un domaine qui se réduit au fur et à mesure que l’homme, par son intelligence, parvient à expliquer scientifiquement les phénomènes physiques autrefois auréolés de mystère.

Le sacerdoce du druide

Les plus lointains témoignages laissés par les observateurs grecs, désignent les druides gaulois comme des philosophes. Ils précisent que les druides cherchaient à moraliser les règles de vie au sein de la société gauloise. Ils y seraient parfois parvenus, pour un certain nombre de tribus. L’historienne anglaise Nora Kershaw Chadwick (1891-1972) a étudié toutes les sources disponibles remontant à l’Antiquité. Elle en conclut que les druides étaient bien des philosophes mais que rien ne pouvait laisser penser qu’ils étaient des prêtres au sens que revêt ce mot dans la pratique des religions.

Pour l’archéologue contemporain Jean-Louis Brunaux, le mouvement intellectuel animé par les druides de Gaule avait pour vocation d’instaurer une morale politique, sur les bases du droit et de la justice. Dans la conclusion de son ouvrage édité en 2006 Les Druides, des philosophes chez les Barbares, l’archéologue s’étonne qu’au début du XXIème siècle, la question de savoir si les Gaulois comptaient des philosophes parmi eux se pose encore, quand les données de l’archéologie et l’analyse des sources antiques y répondent affirmativement, sans l’ombre d’un doute.

Les témoignages de l’Antiquité décrivent un mouvement intellectuel qui rassemblait les druides de la Gaule antique. Quelques druides du XXIème siècle s’attachent à perpétuer ce mouvement de pensée, en dehors de toute religion. Pour eux, le terme « néo-druide » n’est pas approprié.

Pour Gwenc’hlan Le Scouezec «  l’homme sacerdotal, par une action exotérique qui se révèle en la mise en œuvre physique d’un rituel, déclenche en même temps une action interne, spirituelle et ésotérique. Il avait accepté le sacerdoce druidique qui avait transité par les Églises celtiques et dont les filiations furent restituées par le Patriarcat d’Antioche. La Gorsedd de Bretagne, placée sous son autorité, se référait par ailleurs à la tradition bardique rétablie et transmise par Iolo Morganwg.

Gwenc’hlan expliquait que les cultes des anciens Celtes survivaient dans la manière particulière des Bretons de pratiquer la religion chrétienne en y insérant la magie des pierres, des arbres et des sources. En considérant ce qui précède et le fait  qu’il avait mis une certaine distance entre la Gorsedd de Bretagne et la religion chrétienne, il est difficile d’en déduire que ce dernier considérait le sacerdoce druidique comme religieux.

Il ne semble pas adéquat d’appliquer une même définition générique du sacerdoce pour tous les druides de l’époque contemporaine. La définition du sacerdoce du druide sera différente selon qu’il se positionne dans la filiation religieuse des filids convertis d’Irlande et de la tradition christianisée des bardes du Pays de Galles, ou s’il se situe dans la continuité du mouvement intellectuel des druides philosophes de la Gaule antique. Les deux définitions du sacerdoce des druides concernent l’esprit fondamental commun qui imprègne des pratiques différentes. Il  appartient à chacun d’entre eux de se définir au regard de ce qu’il comprend de son titre ou de sa fonction dans notre époque moderne, compte tenu du fait que la notion  de sacerdoce implique qu’il se mette au service de la communauté des adeptes ou de la société dans son ensemble.

Pas moins de douze siècles séparent les premiers témoignages des philosophes grecs sur les druides gaulois, des premiers textes de la littérature orale traditionnelle d’Irlande transcrits par les moines chrétiens. Il n’est pas surprenant que des différences apparaissent dans les tentatives actuelles pour définir les druides de la protohistoire en fonction des sources auxquelles l’on se réfère. Les sources d’Outre-Manche conduisent à une définition à caractère religieux des druides convertis de Grande-Bretagne et d’Irlande, tandis que les sources grecques soulignent le caractère philosophique des druides gaulois.

Pour les druides gaulois, comme pour les brahmanes de l’Inde et les mages de Perse, indépendamment des religions, l’esprit de leurs fonctions au service de leurs sociétés réciproques, résidait dans leurs connaissances et dans la sagesse vers laquelle ils tendaient. Dans cet esprit, la définition du sacerdoce qui semblerait le mieux convenir au druide serait pour le dictionnaire moderne une fonction jugée respectable par le dévouement qu’elle exige. Le druide moderne, qui ne prétend pas être prêtre, n’a pas à se soucier d’une filiation religieuse ou ésotérique. Il se situe dans la filiation symbolique d’un mouvement intellectuel né en Gaule dans l’Antiquité qui, par les valeurs humaines et l’éthique de vie qu’il sous-tend, s’accorde avec notre époque moderne.

Muni de son bâton, le druide sacerdotal moderne se tient sur le gué entre les deux rives de la vie, personnification d’une éthique de vie soucieuse de la société et de l’environnement naturel, pour combattre l’injustice et accompagner les « passages » qui ponctuent le cours de l’existence de ses contemporains.

Dans ses diverses interprétations, le mot druide est associé à la notion de sagesse. Dès l’Antiquité, les Grecs ont qualifié la sagesse de vertu, faisant ainsi une différence avec la connaissance. Socrate contestait le fait que la sagesse puisse faire l’objet d’une acquisition automatique et traditionnelle par l’école. Pour lui, cette vertu ne pouvait être le fruit d’un enseignement, qui serait dispensé à tous par des recettes ou par les méthodes de la science. Dans sa conception antique, la vertu est l’une des conditions du bonheur dans un contexte qui implique la recherche du vrai bien. La devise des sages de Perse était « Bonne pensée, bonne parole, bonne action ». Par opposition, mauvaise pensée, mauvaise parole et mauvaise action, était l’expression du mal. La triade celtique Pensée, parole, action et la qualité de sages attribuée aux druides gaulois par les philosophes grecs, justifient le rapprochement qui a été fait entre les philosophes de l’Antiquité, les sages de Perse et les druides de Gaule. Plus que la somme des connaissances acquises par l’étude, dans les divers domaines scientifiques, c’est la sagesse qui faisait du druide un pilier central dans l’organisation de la société des Celtes. L’influence des druides y est restée forte tant que les rois et chefs de clans acceptaient que leur pouvoir s’exprime en faisant une large place à leurs avis éclairés.

Jean-Paul Demoule s’interroge sur les interprétations et l’utilisation du concept indo-européen qui ont été faites depuis le XVIIIème siècle jusqu’à nos jours. Le scientifique laisse entendre que les études menées sur la question des Indo-européens depuis près de trois siècles auraient eues pour objet de constituer une alternative à la Bible des Juifs, dans la construction de l’identité et de la pensée occidentale. L’indiscutable érudition du chercheur amène à prendre en considération son analyse, ce qui promet une certaine animation dans le petit monde studieux des chercheurs universitaires.

Pour Jean-Paul Demoule, « la construction du mythe indo-européen est à la fois celle d’un mythe d’origine et celle d’un mythe identitaire. ». Le chercheur précise son intention en ces termes : « Les humains ne peuvent vivre sans appartenances sociales ni affiliations. Mais à l’heure où les questions des origines et des identités se posent avec une singulière acuité, le devoir et la responsabilité des scientifiques sont de mettre en garde contre les fausses origines et les fausses identités. »

Quelques archéologues qui s’intéressent à la Bretagne montrent que la population de la péninsule n’a pas été modifiée, de manière significative par une éventuelle invasion de tribus celtes de la protohistoire. Les Bretons qui immigrèrent en Armorique à partir du IVème siècle de l’ère moderne étaient chrétiens et leur apport en termes de culture celtique n’a sans doute pas profondément modifié la façon de vivre de la population autochtone.

Les épisodes sanglants de l’histoire des religions pose la question de savoir si la religion est compatible avec la notion de sagesse. La réponse semble évidente pour ce qui concerne l’aspect idéologique, hégémonique et totalitaire des religions, qui ont vocation à imposer leurs dogmes et règles de vie à l’ensemble de la société.

Pour une partie des croyants intégristes, il n’existe en ce monde rien de pire que l’athée. L’athée, avec son indifférence ou son irrespect pour la religion, représente le mal absolu à combattre. Ce n’est cependant pas l’athée qui « fabrique » le fanatique religieux, c’est bien la religion qui en porte le germe. Les philosophes de l’Antiquité, qui n’étaient pas fondamentalement athées, étaient souvent critiques par rapport aux religions, ce qui valut à certains d’entre eux des ennuis avec les responsables religieux.

La synthèse de ces observations conduit à faire une distinction entre le druide moderne, qui s’efforce vers la sagesse dans une ligne philosophique intemporelle qui pourrait s’apparenter à celle prêtée aux druides gaulois par les observateurs de l’Antiquité, et le néo-druide qui se situe dans la filiation du bardisme gallois christianisé, nonobstant quelques lacunes dans la chaîne de transmission rapportée par Iolo Morganwg.

La théurgie païenne ne parait pas concernée par la notion de sagesse. La religion des anciens Celtes, qui n’a pas laissé de traces écrites, ne peut être un lien entre le druide de l’Antiquité et le druide moderne.

Le druide, tel qu’il apparaît dans les témoignages des penseurs grecs de l’Antiquité, est un sage qui met ses connaissances au service de la société. Ces deux facettes du druide gaulois ne sont pas contestées par les chercheurs modernes qui se sont penchés sur la société et la civilisation des Celtes. Les notions de sagesse et de service peuvent être constitutives d’une spiritualité et d’un état d’esprit susceptibles d’être partagés par le druide de l’Antiquité et par le druide moderne, dans le contexte propre à leurs époques respectives.

Le néo-druidisme, apparu en Grande Bretagne au XVIIIème siècle, s’appuie sur la religion chrétienne à laquelle se rattachent des éléments de la littérature orale des Celtes, transcrite par les moines chrétiens de la seconde moitié du premier millénaire. Cette particularité rend improbable un lien entre le druide antique et le néo-druide. Par contre une filiation spirituelle chrétienne semble s’affirmer depuis la reconnaissance, au début de ce troisième millénaire, du néo-druidisme comme religion officielle par l’Angleterre.

Pour conclure.

Le titre de druide n’est pas une marque déposée et ne fait aujourd’hui l’objet d’aucun enseignement particulier qui délivrerait un diplôme de bonne pratique. Tout individu peut s’attribuer le titre de druide et y mettre le contenu qu’il souhaite. Seul son comportement et son éthique sont susceptibles de le faire reconnaître dans le titre, par la considération de ceux qui auront eu l’opportunité de l’approcher. Si le druide est un homme libre, la question du sens reste fondamentale pour la compréhension de son engagement par la société contemporaine.

Débarrassée des fantasmes romantiques et des pouvoirs magiques du sorcier, l’image du druide s’éclaircit. Le druide moderne qui se situe dans la ligne des anciens philosophes de la nature, se distingue par son degré d’avancement sur la voie de la sagesse et par une éthique de vie centrée sur la triade «  pensée, parole, action » ancrée dans une culture de justice et d’honneur. Sur cette base, le druide se positionne dans la modernité de son époque, en dehors du contexte religieux ou des aléas de la migration des Celtes de la protohistoire et des incertitudes ethniques dues au brassage des peuples depuis la rencontre de l’homme de Neandertal avec l’Homo sapiens. L’expression de la culture celtique contemporaine est présente dans la modernité de notre temps. Le druide peut en constituer l’un des éléments, dès l’ors qu’il s’efforce d’exprimer une philosophie humaniste et pacifique qui rassemble autour de valeurs universelles, et non une pensée religieuse de plus qui sépare plus qu’elle ne rassemble.

Gwyon mab Wrac’h

Lire: Les druides, des philosophes chez les barbares (Jean-Paul DEMOULE)

Mais où sont passés les Indo-européens par Jean-Paul DEMOULE éditions du Seuil 2014