Le druide Gaulois


Pommier

Le druide Gaulois, sage ou prêtre sanguinaire.

Les Celtes arrivent en Gaule, par le nord-est, à partir de l’âge du bronze moyen. De 1500 à 1200 avant notre ère, ils poussent des pointes vers l’ouest en direction du bassin parisien. Tout l’est du territoire est colonisé aux environs de 1000 avant J.C. Vers le VIème siècle, après une longue période de stabilisation, les Celtes reprennent leur progression vers le sud.  Les observations de Pythagore (vers 580-500 avant J.C.), concernant les druides, datent de cette période. La conquête de la Gaule est pratiquement achevée au IIIème siècle, alors qu’au nord de la Seine, les tribus belges repoussent les populations autochtones vers l’ouest et le sud. A cette période, le rayonnement des Celtes et de leurs druides était à leur apogée. L’influence grecque, dans les domaines de la culture, du commerce et des techniques, qui s’était répandue à partir de Marseille depuis 550 avant notre ère, était déjà très marquée sur l’ensemble de la Gaule.

Avant que n’apparaissent les druides, dans la société des Celtes, à une période antérieure au VIIème siècle avant J.C., des personnages particulièrement distingués cumulaient les fonctions de penseur du sacré, de prêtre et de devin. A un moment que l’on ne peut préciser, certains de ces personnages se sont progressivement détachés d’une partie de leurs fonctions, pour se consacrer plus particulièrement à la réflexion métaphysique et à une observation de type scientifique. A la suite de leur évolution et sans doute pour marquer leur différence, ces penseurs se sont eux-mêmes nommés « Druides ». Ils avaient alors abandonné le rôle purement cultuel, désormais assumées par ceux qui assumaient les fonctions de prêtres, les bardes, professionnels du verbe et de la poésie et les vates devins et sacrificateurs.

Selon Posidonius (-135 à -51), contrairement aux prêtres, bardes et devins, les druides ne pratiquaient pas eux-mêmes les choses de la religion, ils n’en subissaient pas les contraintes comme ils n’obéissaient pas à celles de la guerre, mais semblaient commander et se situer au-dessus d’elles.

Au IIème siècle avant notre ère, les druides sont perçus comme des savants, théologiens et philosophes. Les auteurs de l’Antiquité ne leur attribuent aucune pratique cultuelle. À la suite de Posidonius, ils semblent s’accorder sur ce point essentiel. Pour Diodore de Sicile (90 -20), les druides étaient des philosophes et des théologiens. L’historien grec Timagène, au 1er siècle avant notre ère, les décrivait comme des intellectuels un peu éthérés. Pour le géographe Strabon, les druides étaient des philosophes, savants et juges. Aucun des auteurs de cette époque ne dit que les druides étaient chargés de la pratique des cultes. Ces descriptions renforcent l’idée que les druides conservaient une certaine distance entre leur spiritualité et la religion qu’ils s’efforçaient de transformer pour lieux organiser la société.

Les bardes présentaient de fortes affinités avec les poètes de l’orphisme, ce qui les rapprochait du chamanisme. Le personnage d’Orphée possède les caractéristiques du chaman, dont les pratiques permettent d’influer sur les âmes. Posidonius avait noté les analogies entre les bardes et les poètes orphiques, par l’effet que produisaient sur les hommes, les accents mélodieux de leurs chants et de leur musique. Plus tard, Lucain (39-65) écrivain romain, curieux de géographie, d’ethnologie et d’histoire naturelle, s’attarda sur la fonction du barde, en particulier dans l’accomplissement du rite d’accompagnement de l’âme du guerrier mort au combat. Par ce rite, le guerrier échappait au cycle des réincarnations, afin de rejoindre le monde des dieux. Cette description est celle d’une pratique chamanique. Les bardes, dans leurs fonctions cultuelles, pratiquaient la magie du verbe par la poésie et celle de la musique par les mélodies. Les vates assumaient les fonctions divinatoires et les sacrifices.

Les historiens grecs de la philosophie ont remarqué une similitude entre les Druides gaulois et les Mages de Perse. Hérodote (484-425), puis plus tard Strabon ( environ 63 av. J.C. à 25 ap.J.C.), avaient noté que les Druides, comme les Mages de Perse, devaient être présents à l’occasion des sacrifices. Mages et Druides participaient à tous les moments importants de la vie sociale dans leurs sociétés respectives. Ces deux catégories de penseurs étaient des experts réputés être les interprètes des messages délivrés par les dieux. Ils accompagnaient et conseillaient le roi, dans un rôle plus politique que religieux.

De l’étude des textes antiques, Pierre Briant, agrégé d’histoire et professeur au Collège de France en déduit : Les Mages ne sont pas des prêtres, au sens strict, mais des experts en rite. Il note également que les mages bénéficiaient d’une reconnaissance particulière en raison des connaissances spéciales dont ils étaient dépositaires. Ces appréciations s’accordent avec celles portées par les observateurs de l’Antiquité au sujet des druides.

La tradition grecque fait de Zarathushtra le prince des mages de Perse, inventeur de l’astrologie. Zarathushtra serait né à Médie, vers 600 avant notre ère. Prophète, rival de Moïse, il s’est employé à réformer l’ancienne religion polythéiste indo-iranienne pour l’engager sur la voie du monothéisme. Pour faire évoluer l’ancienne tradition avestique transmise oralement depuis le XVIIème siècle avant notre ère, le mage perse focalise la religion sur le dieu Ahura Mazda, le « Maître attentif ». Les Grecs voyaient en Zarathushtra l’initiateur de Pythagore. Les zoroastriens proscrivirent le sacrifice sanglant en Perse. Les druides s’employèrent à en limiter l’usage en Gaule.

Selon Henri Hubert, les Celtes de l’Antiquité sont au cœur de notre civilisation occidentale. Leurs philosophes ont contribué à organiser la société gauloise autour de leurs valeurs morales. Par leur action, les druides ont permis l’établissement d’institutions pérennes dans la société de leur temps.

Il semble aujourd’hui acquis que les druides étaient, avant toute chose, des penseurs qui se préoccupaient de philosophie, mais aussi de la science des nombres, de sciences naturelles et d’astronomie. Ils mirent leurs connaissances au service de la société. Ils s’appliquèrent à promouvoir leurs propres valeurs au sein de la population et dispensèrent leur enseignement aux jeunes nobles. Philosophes et théologiens, les druides semblent avoir réussi, en partie, à modifier les vieilles pratiques religieuses assurément très rudes. Ils ont établi de nouveaux codes pour définir l’axe d’une religion publique en Gaule, placée sous la tutelle du pouvoir dont ils furent, un temps, les incontournables rouages. Pour parvenir à leurs fins, les druides auraient propagé une légende selon laquelle les sacrifices humains avaient été supprimés par Héraclès à l’occasion de sa venue en Gaule. Ce qui est avéré, c’est que les druides réussirent à substituer le sacrifice d’animaux aux sacrifices humains, sauf cas exceptionnel. Le coupable d’un crime de sang, qui ne pouvait payer le prix de la compensation à la famille de la victime, pouvait être sacrifié. Au IVème siècle avant notre ère, le sacrifice d’animaux était la cérémonie la plus fréquente. Le rite était accompli par un vate, en présence du druide qui l’avait autorisé.

Non dénué d’intentions politiques, César (101- 44 avant J.C.) a attribué aux dieux gaulois une correspondance avec le panthéon romain. César note également que les Gaulois se disaient tous, fils de Dis, un dieu souterrain. Le panthéon gaulois, tel que décrit par Lucain, contemporain de Néron, était composé d’un ensemble de trois dieux principaux, maîtres dans les trois mondes : Esus dieu des enfers pour le monde d’en dessous, Teutates « celui de la tribu » pour le monde intermédiaire et Taranis dieu de la foudre pour le monde supérieur. Les peuples héritiers de l’idéologie tripartie des Indo-européens semblent avoir eu en commun cette tripartition du Monde.

Les druides semblent avoir théorisé l’indestructibilité de l’âme et sa transmigration d’un corps humain à un autre corps humain. Ce point les différenciait des pythagoriciens et des brahmanes pour lesquels l’âme pouvait également migrer vers un animal, selon la qualité du parcours de vie du défunt. Pour les druides, selon certains témoignages, l’immortalité de l’âme était liée à la fin du monde. Strabon le laisse entendre dans un passage au sujet des druides : les âmes sont indestructibles, mais un jour le feu et l’eau prévaudront sur eux. Strabon, géographe s’est illustré dans la description physique et humaine du monde de son temps.

L’historien grec, Diogène Laërce, au IIIème siècle après J.C., sur la base de témoignages antérieurs, explique que les druides préconisaient d’honorer les dieux, de ne rien faire de mal et de s’entraîner au courage. Cette triade souligne l’action des druides de la protohistoire, pour influer sur les comportements humains au sein de la société gauloise, en y développant un sens éthique. La recommandation des druides d’honorer les dieux confortait le rôle de la religion dans l’organisation la société. Ne rien faire de mal incitait le peuple à se comporter en accord avec les règles éthiques et morales préconisées par les druides dans les rapports humains. S’exercer à la bravoure avait une vocation plus pratique et concernait vraisemblablement la défense du territoire et de la population. Cette dernière recommandation était déjà une nécessité aux premiers temps des migrations guerrières, bien avant les druides. La triade rapportée par Diogène Laërce semble confirmer que les druides étaient des sages qui, à partir d’une époque que l’on situe vers la fin du IVème siècle avant notre ère, au moment où leur influence tendait vers son apogée, ont mis leur sagesse au service de la politique pour améliorer le sort de la population dans la société gauloise.

Les connaissances des druides en astronomie ont trouvé une application concrète dans la définition du calendrier et la détermination des fêtes annuelles qui fédéraient la population. Leurs réflexions scientifiques s’étendaient à tous les domaines de la nature. Pour désigner cette science, les Grecs utilisaient le mot physiologia aujourd’hui traduit par sciences naturelles. L’intérêt des druides pour la philosophie et les sciences naturelles leur a parfois valu le qualificatif de philosophes de la nature de la part de chercheurs qui s’intéressaient à la civilisation des Celtes.

Les auteurs tel Lucain, Pline ou encore Tacite au 1er siècle de notre ère, qui décrivent les druides comme des prêtres sanguinaires, coutumiers d’horribles sacrifices humains, pourraient avoir eu des motivations particulières, religieuses ou politiques, pour en dresser un portrait aussi négatif. Leurs descriptions, au moment de la conquête romaine, quand l’influence des druides s’était atténuée auprès des Chefs gaulois, sont en totale opposition avec les premiers témoignages des observateurs grecs et particulièrement avec ceux de Posidonius, à l’époque où les druides étaient au plus fort de leur rayonnement.

Les commentateurs se suivent et ne se ressemblent pas. Ainsi, au début du XXème siècle, Camille Jullian[1] reconnaît aux druides une fonction d’enseignants, mais il leur dénie la qualité de philosophe. Les hommes de sciences, dans la société gauloise, s’étaient eux-mêmes nommés « druides », un nom que des philologues traduisent par les très savants. Emile Benveniste (1902-1976), linguiste français d’origine syrienne, auteur d’ouvrages sur l’Indo-européen, va plus loin dans l’explication. Pour lui, la signification du mot « druide », serait mieux exprimée par l’expression « celui qui possède la connaissance dans ce qu’elle a de plus puissant et de plus vivant ». La connaissance dont il fait état était plus le fruit d’un long mûrissement intérieur qui conduisait à la sagesse, que l’acquisition de certitudes scientifiques. En 1961, Emile Benveniste avait fondé  «  l’Homme, revue française d’anthropologie », avec Claude Lévi-Strauss (1908-2009) et Pierre Gourou (1900-1999). Claude Lévi-Strauss était un anthropologue et ethnologue français réputé. Pierre Gourou était un géographe français qui s’était particulièrement intéressé aux relations entre les hommes et leurs milieux naturels.

Témoignages antiques et recherches modernes, semblent s’accorder sur le fait que le titre de Druide soulignait l’aspect intellectuel de la fonction, au-delà du fait religieux. L’étude étymologique du mot druide lui attribue également une racine commune avec le sanskrit veda, qui souligne la notion de  « savoir ». Les druides étaient sans doute des penseurs, comparables aux sages de la Thrace, de Perse et de Grèce qui, par leurs échanges, ont participé à la richesse de la philosophie. Il n’est pas étonnant que Posidonius ait décrit les druides, proches des pythagoriciens.

Gwyon mab Wrac’h

Dernière mise à jour le lundi 22 février 2016

[1] Camille Jullian (1859-1933) , historien français, philologue et épigraphiste est le fondateur de la chaire des Antiquités nationales au Collège de France. Il est l’auteur d’une monumentale Histoire de la Gaule en huit volumes parus entre 1908 et 1921 qui longtemps fait référence. Il fut élu à l’Académie des inscriptions et belles lettres en 1908 et à l’Académie française en 1924.